Modifié le 21 août 2023

L’Europe De L’est, Nouveau Terrain D’export De La Filière Jeu Vidéo Française

Temps de lecture : 4 minutes

Le 31 mai 2020, le studio de développement polonais CD Projekt RED, auteur de la multirécompensée franchise The Witcher, annonce que celle-ci totalise désormais plus de 50 millions de ventes à l’international depuis sa création. Au même moment, à Bucarest, le jeune studio indépendant KillHouse Games s’apprête à lancer en early access sur la plateforme PC en ligne Steam le troisième volet de […]

Le 31 mai 2020, le studio de développement polonais CD Projekt RED, auteur de la multirécompensée franchise The Witcher, annonce que celle-ci totalise désormais plus de 50 millions de ventes à l’international depuis sa création.

Au même moment, à Bucarest, le jeune studio indépendant KillHouse Games s’apprête à lancer en early access sur la plateforme PC en ligne Steam le troisième volet de son jeu de tactique en temps réel, Door Kickers 2 : Task Force North, six ans après le succès critique et public du premier épisode[1].

Deux franchises a priori sans parenté ni ressemblances – l’un est un role-playing game (RPG) médiéval, l’autre un jeu de stratégie en vision « bird eye » – mais qui traduisent un changement majeur dans l’écosystème du jeu vidéo est-européen : l’arrivée à maturité d’une industrie créatrice de ses propres licences… et désormais à l’affût de compétences et des technologies.

[1] Le jeu sera lancé en full access fin 2022-début 2023

Un renversement de paradigme


pologne

Pour comprendre la révolution à l’œuvre dans le milieu du gaming en Pologne et en Roumanie, il faut d’abord se replonger en 1991 – quand, dans une Roumanie post-communiste, Michel Guillemot, un des membres fondateurs du futur géant Ubisoft, charge Laurentiu Rusu, alors éclairagiste au Théâtre National, de recruter des programmeurs pour le compte de l’entreprise bretonne.

Ubisoft cherche alors à internationaliser sa production, notamment sur des missions comme le test ou le portage, et la perspective de coûts modérés crée un appel d’air : Ubisoft Bucarest est né.

Au cours des années suivantes, d’autres grands du secteur lui emboiteront le pas : EA, Bandai Namco, Gameloft… structurant ainsi un écosystème de programmeurs en Roumanie, orientés test et contrôle qualité ou bien portage sur PC.

Tandis que du côté de la Pologne, une production artisanale, parfois même clandestine, se met en place loin du circuit des majors, avec pour seul objectif de servir un pool grandissant de joueurs nationaux.

Trente ans après, le paysage a changé :

En Pologne, dans la foulée du succès international de The Witcher suivent les franchises Dying Light (TechLand), This War of Mine (11 bit Studios) et Cyberpunk 2077 (CD Projekt RED) qui assoient le pays comme nation de premier plan en matière de création de jeux vidéo – on recense aujourd’hui 440 studios sur le territoire et une croissance de 13,5% entre 2018 et 2019[1] sur tous les segments de développement : AAA, indie, mobile.

[1] Sur la base du revenu généré à l’international par des productions polonaises.

Cf The State of Polish Video Games Industry 2020 https://digitaldragons.pl/wp-content/uploads/2021/03/raport_2021_long_final_en_web.pdf

En Roumanie, même phénomène : si les grandes enseignes sont toujours là, elles sont désormais accompagnées de 120 studios indépendants répartis sur plusieurs clusters de développement (Bucarest mais aussi Cluj-Napoca, Iasi et Timisoara) dont la plupart développent leurs propres franchises – parmi lesquelles Solitaire Arena (MavenHut), Move or Die (Those Awesome Guys) ou Frozen Free Fall (Mobility Games).

La croissance enregistrée est ici de 19% entre 2018 et 2019.

Mieux : les filiales des grands noms du secteur sont devenus des unités de création pour les franchises-clés comme Watch Dogs, FIFA ou Modern Combat, prenant à leur charge les mandats de conception et de développement pour tout ou partie de ces licences.

En octobre 2021, lors des vingt ans d’anniversaire de la franchise Tom Clancy’s Ghost Recon, Ubisoft annonçait ainsi que le studio Ubisoft Bucarest serait pilote sur la création du dernier opus Ghost Recon : Frontline, un multijoueur de type battle royale.

Deux écosystèmes favorables


Une montée en puissance qui s’explique, selon Andreea Medvedovici Per, Directrice Exécutive de la  Romanian Game Developers Association et vice-présidente de la Fédération Européenne de Jeux vidéo (EGDF), par un triple facteur : « D’abord il y a le vivier de programmeurs et l’arrivée à maturité d’une génération qui peut transmettre son savoir-faire à des équipes plus jeunes et mieux formées ; ensuite il y a le risque entrepreneurial qui est minimisé par la relative faiblesse des coûts fixes ; et enfin il y a les incitations fiscales… »

Sur ce dernier point, sans nier l’accélération qu’ont occasionnée l’exemption d’impôt sur le revenu accordée aux développeurs à partir de 2004 puis le programme de soutien à l’IT en 2012, Andreea Per préfère se projeter vers l’avenir : « Désormais, il ne faut plus seulement soutenir fiscalement les développeurs, mais également les studios eux-mêmes afin qu’ils disposent de capitaux suffisants pour financer leurs propres IPs ».

Dont acte en Pologne où la législation sur le sujet devrait évoluer sous peu – un texte était prévu en 2020 avant que la pandémie ne vienne reporter les travaux.

Des besoins en briques technologiques

et en partenariats stratégiques


jeux videos

« Cependant, continue Andreea Per, le tissu vidéoludique roumain présente encore des besoins sur certaines fonctions clés liées à la création de jeu : sur le design (game design, level design), sur l’animation ou les fonctions de tech art, nous manquons de ressources et d’outils, et les formations d’enseignement supérieur sont encore naissantes sur ces sujets ».

D’où une volonté de Business France de sensibiliser la filière française du secteur sur les enjeux de la région.

« Il y a en Roumanie et en Pologne des opportunités pour les fournisseurs de briques technologiques comme le motion design, le rendering 4K, les solutions holographiques ou les outils de génération procédurale », témoigne Sorina Moldovanu, chargée d’affaires export Tech & Services chez Business France Roumanie…

D’autant que l’utilisation de ces technologies ne se limite pas au seul secteur du gaming et peut essaimer sur d’autres segments de l’économie en quête de gamification (banques, assurances, grande distribution, etc)

La France peut en effet faire valoir un tissu de production historiquement varié et avancé technologiquement : une entreprise sur deux recensée dans le secteur du jeu vidéo est un studio de développement et, parmi eux, près de 20% travaillent sur un projet en réalité artificielle (AR/VR/MR), et 5% intègrent la blockchain.

Les expertises en matière d’animation sont reconnues de tous, avec en fer de lance les enseignements de la prestigieuse École des Gobelins.

Au-delà, sur des besoins de formations ou d’investissements VC, la France a également de quoi s’enorgueillir d’un paysage structuré, capable d’aller à l’export.

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